Connes Laurent :
Punk ! une « contre contre-culture » des années70
1968, le monde connaît un souffle de
révolution poussé par une jeunesse désirant s’affranchir définitivement des valeurs
du passé. Qu’il s’agisse du bloc de l’Ouest ou de l’Est partout une même envie de renouveau, de San Francisco à Prague l’utopie
semblait possible. Sur le plan culturel, cette envie de changement s’exprimait aux Etats-Unis et en Europe Occidentale
par deux tendances prédominantes les mouvements gauchistes, mais surtout de plus en plus influentes la contre-culture
hippie. Le milieu et la fin des années 60 sont marqués par le rêve communautaire d’une jeunesse
touchée par la guerre du VietNam désirant la paix, l’amour, l’affranchissement des valeurs morales.
La génération psychédélique pensait au contraire des gauchistes pouvoir non pas changer
le « système » mais tout simplement d’en sortir et de tenter sa propre expérience.
La volonté d’un monde meilleur s’exprimait par un retour à la nature, le mysticisme, la consommation
de drogues notamment le haschish
et l’acide ou L.S.D., la vie
communautaire, la volonté de produire ses propres besoins (Do It Yourself, mot
d’ordre repris par une certaine marque de chaussure…) Le rêve semblait prendre forme jusqu’à la cruelle
désillusion qui s’en suivit.
Mais dès cette fin des années
60, une autre forme de mouvement commença à émerger dans l’underground, qui allait préfigurer
les années 70. Sombre, nihiliste, marqué également par un certain romantisme à l’opposé
du rêve hippie, des groupes de musique commencèrent à faire leur apparition. Ces artistes à
l’origine américains, issus du milieu urbain, étaient loin des fleurs et de l’orientalisme ambiant.
Le mouvement punk, sans que l’on lui ait déjà donné cette appellation, commençait à
balbutier sous diverses formes. Il faut souligner que le punk n’est pas un genre aux contours précis et
définis, non, on le définirait plutôt comme un état d’esprit, une esthétique,
se traduisant sous diverses formes avec des variantes selon les artistes et selon les pays. Pour illustrer mes
propos aux Etats-Unis pays pionnier du mouvement, la formation qui représenta le punk d’un point de
vue intellectuel fut le groupe parrainé par Andy Warhol : le Velvet Underground. La formation emmenée
par le chanteur charismatique Lou Reed et le guitariste génial J.J Cale ne fit pas d’un point de vue musical l’archétype du son punk, autrement dit une musique
dure et violente. Mais ce groupe New-yorkais à travers ses textes racontant la misère urbaine, la
prostitution, la prise d’héroïne, les squatts, les marginaux… et son esthétisme, où le noir était de rigueur dans les vêtements,
lunettes… tranchait nettement
avec le « flower power ».
Leurs premières apparitions notamment à San Francisco, se heurtèrent à l’ambiance colorée et optimiste des hippies, jugeant
le groupe beaucoup trop nihiliste et déprimant.
L’autre courant, qui allait faire exister
le punk en tant que tel, lui tient également à ces textes mais plus particulièrement au son
à proprement dit. Le psychédélisme avait poussé la Pop vers une voie de plus en plus
complexe, inaccessible pour de nombreux jeunes musiciens sans expérience. Or toujours aux Etats-Unis, un
genre particulier s’était développé, au milieu des années 60, notamment avec la découverte
des premiers albums des Rolling-Stones,
des Who ou des KInks : le garage rock. Ce nom venait du fait que de petites
formations d’amateurs imitaient chez elles la sauvagerie des formations anglaises. Ce style deviendra, à
partir de 1967, une forme à part entière avec des groupes comme The Sonics, The Remains, The Shadows of Knight… Cette
volonté d’un retour vers une énergie brute propre au début du rock (avec des chanteurs comme
Little Richard ou Jerry Lee Lewis)
et le fait pour des musiciens de juste prendre des instruments et de s’éclater caractérise une volonté
de rompre avec les projets pharaoniques du psychédélisme et de la musique progressive.
A la fin des sixties, une myriade de formations
prirent le mouvement hippie à contre-pied notamment les MC5 de Détroit, mais surtout les Stooges emmenés par le chanteur désormais
culte Iggy Pop. En seulement
trois albums : « The
Stooges », « Fun
House », et « Raw
Power », la face du rock fut changée pour l’ensemble des années 70. En parallèle
d’une musique et de paroles violentes comme les hits « Kill The City »,
« I Wanna Be Your Dog », « No Fun » les prestations scéniques se caractérisaient
par une débauche d’énergie sans précédent : insultes, crachas, provocations diverses
envers le public mais également auto-mutilation, retour au cuir, insignes de la Wehrmacht (attention aux amalgames, les Etats-Unis comme l’Angleterre
ne connurent pas la souffrance liée l’occupation de leurs territoires respectifs durant la II ème Guerre Mondiale, ces signes n’ont
pas de connotation politique, mais simplement une provocation). Chaque concert était la possibilité,
à l’opposé des happenings hippie, de pousser les limites toujours plus loin : lors d’un show
Iggy Pop demanda même au
public de le mettre dans un sac poubelle et de le jeter dans le caniveau !
A New
York, au début des années 70, se mit, donc, progressivement en place une scène underground
avec le punk rock comme musique phare autour de bars et salles de concert comme le Max’Kansas et le mythique C.B.G.B., qui réunissaient des artistes urbains comme Lou Reed, Tom Verlaine (chanteur du groupe Television), Lenny Kaye (concepteur de la première compilation rock garage en 1972 et futur guitariste de Pattie Smith), Waine Country (fondateur des Electrics Chairs), John Cale, les frères Dee Dee et Joey Ramones.
Un artiste va me permettre de faire la transition avec l’Angleterre : David Bowie. Il faut dire également,
que sur l’île britannique beaucoup de choses surgirent à la fin des années 60 et au début
des années 70.
En
Angleterre, du milieu des années 60 jusqu’au début des années 70, la culture hippie et la
musique progressive devenaient de plus en plus prédominantes sur l’île. La British Invasion du début
des sixties permit une relation fusionnelle entre artistes anglais et américains se respectant mutuellement.
Les jeunes anglais purent ainsi connaître ceux qui se passait outre-Atlantique, grâce à la télévision,
à la massification de l’industrie du disque, la venue d’artistes en 1966-67 comme Bob Dylan ou les Doors. La pop britannique prit également
le chemin de San Francisco, la
majorité des jeunes anglais découvrirent la « contre culture » avec un des
albums mythiques des Beatles « Sgt. Pepper… ». La musique psychédélique et progressive, elles aussi, connurent une
reconnaissance internationale avec Soft Cell mais surtout les incontournables Pink Floyd.
Mais
toute la jeunesse anglaise ne succomba pas à cette nouvelle utopie. En parallèle de la montée
du mouvement psychédélique, d’autres subcultures, d’autres tendances émergèrent à
la fin des années 60, et notamment dans les banlieues ouvrières les plus démunies. Il faut
noter qu’à partir de cette période jusqu’aux années 80, le pays au niveau économique
et social allait subir une fulgurante dégradation de ses secteurs industriels. Les mastodontes du secteur
secondaire traditionnel britannique : la sidérurgie, le charbon, les chantiers navals, l’automobile…
allaient décliner et jeter un pan important de la population britannique dans une crise violente. Les enfants,
issus de ses couches à caractère héréditaire, ne pouvaient plus reproduire le schéma
apprenti-vie active, ce qui avait
permis dans les années 60 de conférer un pouvoir d’achat non négligeable aux jeunes prolétaires.
Nous assistons donc, à un décalage avec les idéaux de la culture hippie : l’intellectualisme
à outrance et le mysticisme oriental ne parlaient pas à ses adolescents, qui vivaient dans des logements
ouvriers dont la monotonie était bien éloignée du soleil de Californie. Une autre composante
très importante de la composition sociale de ses ensembles urbains fut l’arrivée massive d’immigrés
du nouveau Commonwealth, notamment de Jamaïque. L’apport culturel de ces nouveaux jeunes arrivants fut fondamental
sur les cultures urbaines des jeunes blancs anglais.
On sait que la fin des années 50 et
le début des années 60 furent marqués par l’apparition des moderns ou mods. Ces jeunes ouvriers caractérisaient par l’élégance de leurs costumes italiens,
le culte du scooter, leur antagonisme avec les rockeurs étaient des férus de musique noire :
soul, jazz, rythm’n’blues. Le
contact avec les jeunes jamaicains
leur apporta la culture rude boy ou skinhead et la musique ska. Tout une partie des mods coupèrent leurs cheveux plus courts, abandonnèrent
le costume italien contre des vêtements rappelant leurs appartenance à la working class (veste « donkey », chaussures « Dr Marteens », jeans…), nous assistons à un retour
d’un sentiment ouvriériste très fort, marqué par un rejet parfois physique des hippies, considérés
comme des intellectuels petits bourgeois.
Au niveau musical, de nouvelles formes apparaissent
dès 1968 comme le hard rock symbolisé par des groupes comme Deep Purple, Black
Sabbath et Led Zeppelin, mais surtout celle qui nous intéresse par
rapport au punk : le glam
rock. Ces deux tendances ont en commun une volonté d’un retour à une énergie propre au début
du rock’n’roll. Le glam ou « rock
vulgaire » prit son essor avec le groupe T Rex et son chanteur charismatique Marc Bolan. Leur premier album « T Rex » prit le milieu artistique de court : album électrique avec des riffs effrénés
proche du rockabilly et du boogie-woogie
avec des paroles crues, juvéniles et fraîches notamment sur les filles. Au niveau du look, là
aussi le contraste avec les artistes psychédéliques fut brutal : un certain dandysme mod mais avec une excentricité jamais
vue avec des vêtements fluorescents, des vestes lamées et ce qui caractérise le plus l’esthétique
glam : le maquillage à
outrance souvent façon « Pierrot ». Le sillon tracé par T Rex (n°1 des charts avec le titre « Get It On » propulsa
sur le devant de la scène d’autres artistes comme Slade, mais surtout David Bowie.
Bowie symbolisa la liaison entre la nouvelle
scène anglaise et la nouvelle tendance américaine précédemment citée. Ce jeune
mod, inspiré par Bob Dylan,
sortit un album folk acoustique en 1968 remarqué par la presse pour certaines compositions. Mais c’est en
1970 que sa carrière décolla et prit une ampleur que l’on connaît aujourd’hui. Sorti
de deux traumatismes avec la mort de son père et l’internement dans un asile de son frère, il lança
un album électrique « The Man Who Sold The World » La pochette représentant le chanteur sur un divan portant une robe fit
scandale en Angleterre et fut même censurée aux Etats-Unis. Ce qui provoqua encore plus le scandale
fut ces concerts. Dès les débuts l’accent était mis sur l’androgynie avec ses poses efféminées,
et ses multiples provocations, qui scandalisèrent l’Angleterre « bien pensante » mais
qui fascinèrent à l’opposé les jeunes. Ces prestations des années 70 furent marquées par une croissance de la
théâtralité avec la coloration des cheveux surtout orange, le port de bottines à hauts
talons avec des lacets, faux cils, maquillage et rouge à lèvres. La simplicité des hippies
fit place au voyeurisme le plus extrême. Les thèmes des chansons rejoignirent ceux de la nouvelle
scène américaine (l’album « Hunky Dory » était un hommage au Velvet
Underground », avec sa voix glaciale la nouvelle idole chantait ses fantasmes, ses angoisses, la folie,
l’ambiguïté sexuelle et par l’emprunt à la science fiction dans son album culte « Ziggy Stardust and the Spiders from Mars »l’apocalypse, le chaos, la IIIème Guerre Mondiale, l’extermination par la pollution…
Cet album où il incarna le personnage futuriste et imaginaire de Ziggy avec des cheveux rouges, un costume argent et des talons hauts propulsa l’artiste au devant
la scène mondiale. David Bowie allait dès lors cottoyer le cercle artistique pré-punk de New York. Il produisit en apportant sa touche esthétique notamment l’album « Transformer »
de Lou Reed et « Raw
Power » des Stooges
Aux Etats-Unis, le phénomène
glam se développa autour
de la factory d’Andy Warhol le
mélange entre théâtre et musique amena de fait une esthétique nouvelle aux artistes.
Les New York Dolls avec Bowie
symbolisèrent la convergence ; le trait d’union entre glam et punk entre l’Angleterre et les Etats-Unis. Travestissement avec utilisation du skaï noir
ou rouge, paillettes, talons hauts, maquillage, le groupe joua la carte de la provocation et de la décadence.
La musique simpliste renouait avec l’énergie pure du rock’n’roll, les paroles mêlaient dérision,
ironie, humour, destruction, sexe… Après plusieurs 45 tours, les New York Dolls sortirent deux albums en 1973 « New York Dolls » et en 1974 « Too Much, Too Soon », malgré de bonnes
critiques le grand public encore attaché au psychédélisme et à la musique progressive
ne suivra pas. De plus, la drogue et l’alcool n’épargnèrent pas le groupe qui se trouvait paumé
au milieu des années 70. Mais un homme nous intéresse particulièrement : Malcom McLaren. Ce londonien tenait à
New York une boutique de vêtements dont le style s’inspirait du sado-masochisme, des sex shop… La formation venait y trouver leurs tenues et en 1975,
alors que tout le monde dans le business les lâchait, McLaren leur proposa de devenir leur manager.
Celui-ci ni fit rien, le groupe mourra la même année, mais McLaren a senti que cette nouvelle tendance
était encore trop fraîche pour le public, mais qu’il y avait une possibilité de changer la
face du rock. Patti Smith déclara d’ailleurs « Il faut une nouvelle guerre du rock car il
stagne. Pas de passé, un futur ! Le rock doit sortir de son inertie pour retrouver l’inspiration »
.Il décida dès lors de rentrer à Londres afin de tenter d’importer ses goûts dans l’île
et de promouvoir de nouveaux artistes. Il sera à l’origine du groupe, qui balaiera le rock en Angleterre
et faire du punk une musique à part entière et connut mondialement : les Sex Pistols.
A son arrivée en 1976, il créa
à nouveau, avec sa femme Vivien Westwood, un magasin de vêtements dans le même style qu’à New York : tee-shirt troué,
collier de chien, pantalon avec des épingles à nourrice avec aussi des lanières de contrainte
liant les deux jambes, accessoires de tout genre… L’Angleterre, de cette deuxième moitié des années
70, vivait alors comme nous l’avons évoqué précédemment, une grave crise sociale notamment
au sein de sa classe ouvrière. L’heure n’était plus au rêve mais à la désillusion
et au déclin, le punk correspondait parfaitement à l’ambiance d’une partie de la société
britannique. La scène underground anglaise, elle aussi, avec le glam mais également le pub rock soulignait une volonté d’en avoir assez d’un rock complexe,
prétentieux, éloigné du public. Le pub est depuis toujours le lieu de sociabilité par
excellence des britanniques. A partir de ces lieux toute une scène jeune et énergique se développa,
le public était situé à proximité de ces nouveaux artistes et découvrit de nombreux
talents comme l’emblématique Joe
Strummer (futur chanteur des
Clash) ou encore Elvis Costello.
McLaren allait lui, réussir à sortir de l’ombre et à populariser grâce à son
sens du business le punk rock.
La boutique attirait en majorité de
jeunes pauvres, qui zonaient ayant une attirance pour le glam rock. C’est ainsi qu’il repéra un jour John Lydon, futur Johnny Rotten
(« l’ordure »), il lui proposa de se mettre avec des musiciens, de sa connaissance (dont
un skinhead et un hooligan) pour créer un groupe dont les valeurs seraient la provocation, le chaos et l’anarchie.
Tous étaient issus des quartiers pauvres de Londres comme Lydon fils d’une famille irlandaise méprisée comme les communautés noires par le
pays. Les Sex Pistols n’avaient pas inventé le punk en Angleterre, mais
il restait le groupe par qui la popularisation de ce style de vie s’exporta au-delà des frontières
de l’île.
A Londres, à Manchester, à
Liverpool partout aux Etats-Unis et en Europe Occidentale, en cette année 1976, les grands clubs avaient
compris les nouvelles attentes de la jeunesse en terme de musique. Une génération refusant l’establishment
défiant tous les codes vestimentaires avec jeans troués, décoloration des cheveux, gadgets
sadomasochistes en tout genre, désirant une musique brute sans artifice accompagnée d’une danse le
pogo (assez simple à pratiquer,
c’est une grosse mêlée ou chacun exprime sa colère) correspondaient à la frustration
qu’ils se sentaient subir dans les quartiers, à l’école, à l’usine, ou au chômage… Les
clubs comme le Roxy ou le Marquis
accueillirent des groupes comme Generation
X (Billy Idol), The Slits, The Damned, The Stranglers, les Buzzcocks,
les Sex Pistols, The Clash. Tout paraissait possible, tu savais à peine jouer ou chanter, tu montais un groupe
ce qui comptait avant tout c’était l’esprit, l’énergie et l’envie que tu y mettais. Dans tout le
pays en cette années 1976, des jeunes mods, skinheads, gauchistes, hippies en désillusion mais surtout de jeunes adolescents cherchant
à se démarquer adoptèrent le style et l’esthétique punk. Ce nouveau phénomène
social reflété par les nombreux articles de journaux, émissions de radio ou de télévision
vont faire les choux gras avec les divers incidents provoqués par les groupes, les bastons dans les concerts,
la décadence des looks, mais également s’interroger les raisons de ce mal être de cette jeunesse
et le rejet de l’ordre établi. L’Angleterre fut le premier pays où le punk devint un véritable
phénomène de société.
Novembre 1976, l’année se clôtura
par la sortie du 45 tours, qui propulsa définitivement le punk comme musique rebelle par excellence et balayer
tout sur son passage, le tube des Sex
Pistols « Anarchy in the U.K. » hymne de toute une génération urbaine et radicale. Intrigué par
ce 45 tours revendiquant le chaos
et la destruction “je suis un antéchrist, je suis un anarchiste”, les médias s’intéressèrent
de plus près à la scène underground londonienne, bien que le disque soit particulièrement
difficile à trouver. Invité dans une émission de télévision grand public “Today” (diffusé à 17 heures)
présenté par Bill Graham, les Sex Pistols firent
exploser sur le devant de la scène le punk rock. Ils arrivèrent sur le plateau ivre et drogué
avec la jeune groupie Siouxsie
(également chanteuse du groupe The
Banshees) maquillée comme
les artistes glam. Bill Grundy ne savait pas à qui il avait
à faire, il provoqua Siouxie
en lui demandant de venir le voir après l’émission. Les membres du groupe commencèrent à
l’insulter en le traitant de “sale porc”, le présentateur incita Steve Jones à continuer et les insultes
fusèrent de toute part. L’émission fut stoppée en direct et suspendue pendant deux semaines.
Le disque fut aussitôt retiré des disquaires et détruit. On peut imaginer l’impact de ce passage
sur les jeunes en Angleterre, les Pistols
incarnaient au mieux cette génération en proie aux incertitudes de l’avenir et à la violence
quotidienne. Les membres étaient issus comme la plupart des adolescents de banlieues pauvres, le cynisme
affiché des punks était-il aussi fort que celui de la société à leur encontre?
1977, des centaines de groupes se formèrent
notamment The Jam et Police malgré le boycott des radios, des salles de
concerts, de la plupart des labels. Un système alternatif se constitua afin de promouvoir cette culture
avec des maisons de disques indépendantes, des radios locales, des magasins de disques ou de vêtements.
Le business ne tarda à comprendre la manne financière, qu’il pourrait en tirer. Le punk s’exprimait
de différentes manières et sur ce point attire de plus en plus d’adolescents : les Sex Pistols symbolisaient le chaos par excellence : musique brute, parole décadente, attitudes offusquantes
(crachas, vomissements, apologie de la drogue), ils incarnaient le côté « destroy »,
d’autres formations elles se sentaient plus structurées politiquement ou dans leur vision des problèmes
de la société : tous les groupes affichaient clairement leur appartenance à la classe
ouvrière. Des groupes comme The
Slits ou X-Ray Spex jouaient la carte du féminisme, Generation X la fracture entre adultes et adolescents, The Stranglers le
nihilisme, mais le groupe qui s’en nul doute incarnait musicalement une volonté de révolution politique
furent The Clash. Ce groupe emmené
par le chanteur emblématique Joe
Strummer et le guitariste Mick
Jones symbolisèrent à la fois le respect durant toute leur carrière de l’esprit punk refusant
toute compromission, l’engagement politique du mouvement punk, et l’ouverture musicale en intégrant la musique
jamaïcaine. Il faut dire, que même si l’apparition des punks sur l’échiquier des bandes
provoqua des affrontements avec notamment les Teddy Boys et les rockers, les punks issus des mêmes quartiers
que les immigrés des caraïbes partageaient les mêmes goûts que les skinheads et les rastafari :
le ska et le reggae. The Clash furent
les premiers à intégrer ses rythmiques dans leur musique et à faire l’unanimité au
sein de toute une jeunesse des quartiers défavorisés.
Au printemps de cette année 1977,
les Sex Pistols, créèrent une nouvelle polémique sans
précédent dans l’histoire du rock anglais. A l’occasion du jubilé de la reine Elisabeth II,
le groupe composa à leur manière, un hommage à la monarchie et à l’hymne anglais en
sortant le fracassant single « God Save The Queen », dont les paroles commencent
par « Dieu sauve la reine/ Son régime fasciste/ Ils ont fait de toi un crétin/ Une bombe
atomique potentielle/ Dieu sauve la reine/ Elle n’est pas humaine/ Pas de futur/ Dans la belle Angleterre/Ne te
laisse pas embrigader/ Pas de futur pour toi… » provoquèrent déjà au sein du groupe le départ du bassiste, qui refusant de jouer ce morceau
en vint au main avec Rotten.
Les plus vives réactions émanèrent des médias et de l’opinion publique : protestation,
censure, manifestation pour empêcher la tenue des concerts, volonté de traduire le groupe en justice
pour crime de lèse majesté… Le punk se situait dans une situation très paradoxale, la
jeunesse adhérait de plus en plus avec la venue des classes moyennes, le nombre de groupes croissait de
manière spectaculaire, les ventes de disque étaient bonnes avec des singles et des albums régulièrement
bien classés dans les charts,
les grands labels comme E.M.I,
Virgin, A&M Record saisissant la portée du mouvement signèrent de plus en plus de formations,
la mode suivait également et d’un autre côté de nombreuses salles de concert refusaient la
venue de groupes punk, la censure à la radio était presque totale, la télévision idem,
le conflit générationnel s’exprimait également parfois avec violence. L’année 1977
reste la période la plus faste du mouvement où tout semblait possible, le mouvement croyait être
capable de créer une révolte au sein de la jeunesse notamment ouvrière, symbole musical le
45 tours « White Riot »
(émeute blanche) de The
Clash appelaient à l’emploi de la violence pour ce faire entendre, après les graves incidents entre
policiers et jeunes noirs au cours du carnaval de Notting Hill : « Je veux une émeute blanche / Une émeute à moi/
Les noirs ont des problèmes/ Mais ils osent se révolter/ Les Blancs vont à l’école
pour apprendre à être stupides / Chacun fait ce qu’on lui dit/ Et personne ne veut aller en prison… »
Toute la frustration de la jeunesse, justifiée ou non, s’exprimait par la fascination de ce nihilisme intellectualisé
et artistiquement structuré.
Mais cette effervescence fut de courte durée,
le punk en tant que fer de lance d’une partie de la jeunesse anglaise implosa littéralement en l’espace
de quelques mois. Cette désagrégation du mouvement incombera aux artistes, aux maisons de disques,
mais aussi d’une certaine manière au public. Le problème des années 1978-1979 fut que le punk
jouissait d’une telle popularité que l’anti-mode était devenu une mode, l’anticonformisme une norme.
Tel les hippies, pourtant détestés, le punk fut récupéré par le business de
la même sorte. Les boutiques de vêtements s’étaient mises au goût du jour et vendaient,
de fait, des tee-shirts ou des jeans déjà troués, un retour au cuir, des bijoutiers proposés
même des épingles de nourrice en or ! Les jeunes, de tous les milieux, s’étaient mis à
la page, l’esprit tribal disparut. Les artistes, même si, d’autres groupes comme U.K.Subs, The Exploited, The Undertones ou Sham 69 s’imposèrent
sur la scène, la récupération commerciale était en route. Toutes les grandes
majors voulaient absolument signer des groupes punks, il s’en suit que le public commença à se lasser
de formations ne proposant plus rien en terme d’originalité. Les meilleures formations initiales, quand
à elles, succombèrent à l’argent et de plus la drogue et particulièrement l’héroïne
décima physiquement ou psychologiquement nombre de protagonistes. Une interview de Siouxsie, avant de monter sur scène en 1978, reflétait
la pression financière, la journaliste fut particulièrement surpris de la découvrir nerveuse
avant de rentrer sur scène, elle répondit : «Maintenant je flippe à chaque fois./Tu
es nerveuse parce que pour avoir un contrat, la compétition est plus sévère ?/ Non la
compétition c’est avec moi-même, je veux avoir un contrat sans faire de compromis, et çà
c’est très dur » Ce grand écart fut impossible à tenir et de nombreux groupes disparurent
car pas assez rentable et d’autres devinrent comme les idoles pops des années 60, des gens bien établis
désirant un confort matériel.
Les Sex Pistols en incarnèrent le symbole, le groupe à cause de son succès foudroyant était
sous pression permanente et croissante. De plus en plus de monde assistait à leurs concerts demandant toujours
plus de provocations et beaucoup de prestations se terminaient en bagarre, le public étant dévastateur.
La drogue s’empara particulièrement de Sid Vicious et la qualité scénique devenait de plus en plus pitoyable. Johnny Rotten décida alors de claquer la porte, il en était
fini du groupe anglais le plus emblématique de la fin des années 70. Symbole de cette déchéance,
Vicious échappa plusieurs
fois à des overdoses, mais tout se précipita lorsque sa petite amie Nancy Spungen fut retrouvée , dans son lit, morte poignardée.
Inculpé de meurtre Sid Vicious
ne fut libéré qu’après le paiement d’une forte caution en attendant son procès, abandonné
de tous, ruiné, il mourut trois mois plus tard d’une overdose.
Le public, également, tint une part
de responsabilité dans la chute du punk. Tout d’abord, la popularisation du mouvement amena des jeunes de
milieux plus aisés, qui adoptèrent ce style comme une mode et transformèrent le mouvement
en industrie, on portait le costume la semaine au travail et on devenait punk le week-end. Pour de nombreux adolescents,
il servit inconsciemment juste de moyen de se démarquer de leurs parents, chose naturelle à leur
âge. Cette arrivée de nouveaux consommateurs en disques, sorties, vêtements…contribua à
transformer le punk en véritable commerce et en dénaturer inévitablement le côté
anti-conformiste et nihiliste. Il était devenu comme le mouvement hippie au début des années
70, un bien de consommation, et donc en contradiction avec la nature du mouvement. Le deuxième point concerne
lui par contre la base même du public. Nous l’avions évoqué le mouvement punk a puisé
ses racines dans la classe ouvrière. La crise des années 70 a contribué à l’émergence
de ce mouvement, le terreau du public et de la majorité des artistes étaient originaires de la working class. Mais cette crise s’était
en un sens retournée contre les « fondements philosophiques » du punk. En cette fin
des années 70, la crise était à son paroxysme et de nombreux jeunes ouvriers ou chômeurs
s’extrémisèrent de plus en plus. Le résultat le plus visible fut sans nul doute la résurgence
du racisme et la fascination pour une violence aveugle. Le hooliganisme fit son apparition provocant la terreur
dans les stades anglais, puis en Europe. La volonté de se battre à l’origine pour son club de football
puis pour son pays démontrait la rivalité entre quartiers, entre villes, entre pays, d’où
un sentiment de nationalisme, mais surtout pour un individu, qui ne représentait « rien »
pour la société trouvait, ici, un moyen d’exister par rapport à une hiérarchie de bande
fondée sur le « courage guerrier ». Le mouvement skinhead, lui aussi, se politisa
vers des doctrines extrémistes. Alors qu’au début de cette mouvance, les jeunes blancs adoptèrent
cette culture chez les jeunes jamaïcains, et que la violence s’exerçait contre les hippies considérés
comme de petits bourgeois, une partie des skinheads blancs se réfugièrent dans l’idéologie
nazi ou tout du moins d’extrême droite. Il faut ajouter qu’une partie des punks rejoignirent ce virage idéologique.
Ce changement des années 70 se fondait sur un ouvriérisme exacerbé, le rejet du gauchisme
hippie, la crise du chômage qui fit resurgir le problème de l’immigration et l’arrivée du reggae
dont la philosophie spirituelle et religieuse et le thème de la négritude des rastafaris attirèrent
de nombreux jamaïcains, mais ne trouva que peu d’écho chez ces jeunes ouvriers.
Cette tension provoqua une hausse de la violence
dans les concerts, pubs… L’incitation à la violence contre le système gangrena au final les prestations
des groupes, où la plupart des concerts se terminaient en bagarres. De plus la politisation prononcée
entre anarchistes, communistes, fascistes ou apolitique multiplia les signes distinctifs au niveau du look (par
exemple rangers à lacets blancs pour l’extrême droite et rouge pour les libertaires) et accentua la
fracture entre les jeunes. La musique fut elle aussi marquée et influencée par ces nouvelles tendances.
La scène skin-punk-hooligan
allait fusionner pour donner naissance à un nouveau genre la Oi ! (Hello ! en cockney) mélange de punk, de thématiques ouvriéristes
avec des refrains repris comme dans les stades de football. Ce style initialement incarné par le groupe
Sham 69 était marqué
à gauche avec toujours en fond la condition ouvrière, mais les thématiques développées
amenaient également un public d’extrême droite. Victime de son succès, la formation se
saborda face à l’impossibilité de jouer sans violence dans le public. L’extrême droite gangrena
dès le départ ce style pour y développer ses propres thèses et servir de porte parole
à la jeunesse. L’appellation d’origine en 1978 fut le « rock again communism » ,
son origine venait de la création du groupe nazi le plus célèbre encore à l’heure actuelle :
Skrewdriver emmené par
son leader Ian Stuart fondateur du label « Blood & Honor ».
Dès lors, ce fossé et ce repli furent irréversibles, la scène punk effraya la majorité
des adolescents et retomba progressivement dans le milieu de l’underground. La crise sociale des années
70 et des années 80 ne provoqua donc pas de révolte sociale, au contraire les jeunes défavorisés
utilisèrent la violence contre eux-mêmes et s’en suit une désaffection du mouvement punk.
Fin tragique ? Retour aux cendres ?
Non, le punk allait ,en parallèle de ce repli, muter à la fin des années 70 et le début
des années 80 pour donner naissance à la musique phare des années 80 : la New Wave. Cette tendance était issue du
punk-rock, puisque les premiers
artistes de ce mouvement furent Johnny Rotten et son nouveau groupe Public Image Limited, The Clash, Ian
Dury, The Police, Siouxsie & The Banshees… Il est difficile de faire un trait
d’union entre tous les groupes, mais on peut distinguer deux tendances prédominantes. La première
incarnée par les quatre premiers groupes précédemment cités gardèrent leur esprit
punk, mais d’un point de vue musical jouèrent la carte de l’ouverture. Nous avons vu déjà
vu que les punks traînaient avec les jeunes jamaicains, cette cohabitation fit intégrer le reggae, puis d’autres musiques noires comme le funk,
et également le disco dans les rythmiques. Le synthétiseur, grand absent du punk-rock, revient lui aussi sur le devant de la scène.
Le résultat sera une musique riche en influences, dansantes, débarrassée de rythmes violents,
jouant sur la fibre politique pour par exemple les Clash ou Police ou sur la dérision pour Public Image
Limited ou Ian Dury. L’autre tendance de la New Wave reprit elle le côté romantique et nihiliste du
punk renouant avec le Velvet Underground. La révolte et la violence ayants échouées, l’heure
était à la résignation, à la morosité, à la désolation de l’existence,
à l’interrogation sur la mort. La musique se caractérisait par un côté oppressant et
lancinant et renouait également avec le synthétiseur avec des sonorités glaciales, tendance
venue notamment d’Allemagne. Le look prit une tournure sobre avec pantalon noir, pull col roulé noir avec
parfois un côté glam
avec des « maquillages à la Pierrot ». Impulsée par Siouxsie&The Banshees, cette
sous tendance de la New Wave
propulsa des groupes célèbres comme The Cure, Joy Division
ou encore Depeche Mode.
En conclusion, nous pouvons dire que le punk
fut sans nul doute le phénomène culturel majeurs des années 70. Tel une tempête, il
balaya la contre-culture des années 60, pour développer un mouvement urbain, anti-conformiste, provocateur,
énergique mettant l’accent sur les côtés sombres de la société. Il permit
également au rock de retrouver une partie de ses racines et de donner la possibilité à de
nombreux artistes de s’exprimer d’une manière originale en toute simplicité. Même si le rêve
fut de courte durée avec la fulgurante récupération commerciale et une hausse de la violence
ingérable, le punk a su se transformer pour donner naissance à d’autres courants. Son esprit de révolte
resurgit de temps en temps comme par exemple le mouvement grunge dans les années 90, et il est indéniable
s’il influença dans sa manière de procéder des musiques urbaines comme le hip-hop et le rap.
Connes Laurent,
le 12 septembre 2006
Bibliographie
sélective :
-Assayas Michka (dir.), Dictionnaire du Rock, éd. Robert Laffont, Paris, 2000
-Blum Bruno, Le reggae,
éd. Librio, Paris, 2000
-Dister Alain, L’âge du rock, éd.
Gallimard, Paris, 1999
-Lemonnier Bertrand, Culture et société
en Angleterre de 1939 à nos jours, éd. Belin, Paris, 1996.
-Marshall George, Spirit of ’69 : A
Skinhead Bible, éd. S.T Publishing, Dunoon, 1994
-Robb John, Punk Rock, An Oral History, éd. Ebury Press, London, 2006
-Santiago Claude, Dégénération Punk, Arte /La Sept, 1998
Discographie sélective :
-Bowie David, Hunky
Dorry, R.C.A., 1971
-Bowie David, The
Rise And Full Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars, R.C.A., 1972
-Bowie David, Alladin
Sane, R.C.A., 1973
-Clash (the), The
Clash, C.B.S., 1977
-Clash (the), London
Calling, C.B.S., 1979
-Clash (the), Sandanista!, C.B.S., 1980
-Cure (the), Three
Imaginary Boy’s, Polydor, 1979
-Cure (the), Seventeen
Seconds, Polydor, 1980
-Dead Boys (the), Young,
Loud and Snotty, Sire, 1976
-Joy Division, Unknow
Pleasures, W.E.A., 1979
-New York Dolls (the), The
New York Dolls, Mercury, 1973
-Public Image Limited, First
Issues, Virgin, 1978
-Public Image Limited, Flowers
of Romance, 1981
-Sex Pistols (the), Nevermind
On The Bollocks, Virgin, 1977
-Shadows of Knight, Gloria, Sundazed, 1998 (rééd.)
-Siouxie And The Banshees, The Scream, Polydor, 1978
-Siouxie And The Banshees, A Kiss in the Dreamhouse, Polydor, 1982
-Sonics (the), Here
Are The Sonics!!!, Norton, 1999 (rééd.)
-Stooges (the), Stooges, Elektra, 1969
-Stooges (the), Fun
House, Elektra, 1970
-T.Rex, Essential
Collection, Polydor, 2002
-Velvet Underground (the), Coffret, 5.vol, Polydor, 1995